mercredi 28 octobre 2009

Critiques, vos papiers : Irène (A. Cavalier)

RETROUVAILLES

Alain Cavalier, c'est quelqu'un de discret. Il est là, dans son coin, avec sa petite caméra vidéo. Il n'embête personne et ne cherche même pas à s'imposer comme cinéaste, c'est dire. Alain Cavalier est un filmeur, puisque c'est ainsi qu'il se présente. Reste à savoir ce qu'il filme et pourquoi. Avant d'aller voir Irène, je me suis demandé si j'allais être touché par cet homme d'un certain âge qui a fait de sa vie et de sa vie seule, la matière de ses œuvres récentes. Dans ces cas-là, on ne peut s'empêcher de penser, même sans oser se l'avouer tout haut : « elle a intérêt à être intéressante, sa petite vie ». En fait, ce qui compte est qu'il la rende intéressante, bien entendu.


Touché, je l'ai incontestablement été. Oui, je me suis dis « c'est beau et émouvant » et puis je n'y ai plus beaucoup repensé, parce que les jours et les images filent toujours beaucoup plus vite qu'on ne croit. Mais la place de Cavalier a beau être modeste, une fois qu'elle est faite, on ne la lui ôte pas si aisément. Ainsi, le timbre si tendre, si délicatement grave de sa voix a commencé à revenir se promener l'air de rien dans mon esprit. J'ai peu à peu réalisé à quel point son film était unique en son genre et qu'il valait sans doute la quasi-totalité des vidéos faites à la maison et mises en ligne sur internet par des amateurs. Alain Cavalier est peut-être un filmeur amateur, mais un filmeur amateur professionnel, la nuance est importante. Elle indique un travail de mise en forme de l'expérience; exercice exigent, auquel il se soumet brillamment et requérant une lucidité de tous les instants pour être capable de remettre toujours en question sa propre démarche de dévoilement.

Alors, au final, qui est Irène ?
Ayant vu, le film je peux vous le dire. Irène, c'est l'amour de jeunesse tragiquement emporté dans un accident de voiture au début des années 1970. Il y a un moment dans le film où notre filmeur s'amuse à chercher les anagrammes du prénom. Ca donne « Renie » et puis « Reine » surtout. Reine de beauté, c'est certain puisque la demoiselle était miss France. Moi, quand j'ai vu ce titre, je me suis dit, sans pouvoir me l'expliquer, que je n'aimais pas beaucoup ce prénom. Ça m'évoquait d'abord la sirène, charmante créature, mais aussi la murène, qui l'est beaucoup moins. Ces deux associations d'idées ont donc fait d'Irène une belle femme potentiellement dangereuse et agressive, tapie au fond de l'océan. Et au final, sans doute n'étais-je pas très loin de la vérité, si tant est qu'on accepte de convoquer l'analogie horriblement banale entre la mémoire des hommes et l'océan. Mémoire trouble et déformante où l'on plonge si souvent pour retrouver des moments, des êtres, des sentiments, des bouts de passé plus ou moins rouillés.

Le petit miracle du film tient tout entier dans cette capacité à aller repêcher des fragments d'une relation amoureuse et des détails d'une personne disparue il y a plusieurs dizaines d'années. On pourrait certes penser qu'il est un peu facile de relire, par exemple, des extraits du journal intime que l'auteur tenait à l'époque et ce d'autant plus qu'il est particulièrement détaillé ! Sauf qu'il s'agît là seulement d'une sorte d'appât (n'ayons pas peur de filer l'analogie vaseuse) qui lui permet d'attraper bien d'autres éléments, bien d'autres souvenirs, pour les assembler, comme on compose une nature morte ou même une vanité. L'effet est saisissant. En fait, Cavalier devait surtout trouver un moyen de donner à sentir l'existence passée de l'être aimé sans avoir recours à une actrice pour l'interpréter (l'idée est évoquée puis refusée, au cours du film) ni à aucun image d'archive, une photographie exceptée. En littérature, pour peu qu'on ait la plume de Marcel Proust, c'est à la portée du premier venu mais au cinéma ? Comment filmer, dans un documentaire, ce qui n'existe plus, dès lors qu'on quitte le champ du film d'archive et de la reconstitution ? Pour Cavalier, cette impossible quête prend la forme d'un voyage, d'un retour dans des lieux de vie commune, entre deux chambres de motels impersonnelles.Sa voix est là, chaude et virile, pour nous guider, avancer dans l'obscurité, à tâtons, au risque de chuter. Il nous fait part de ses interrogations, de ses doutes et de ses sentiments. Il ne cherche pas à reconstituer, à faire revivre le passé, comme un ancien combattant retournant sur le champ de bataille, c'est autre chose. Quelque chose comme le prolongement d'un échange, d'une proximité; comme des retrouvailles, peut-être. Retrouvailles qui auront lieu à la fin quand il parle d'Irène en glissant sa caméra sur une photo d'elle, comme on passe la main sur les traits d'un visage qu'on a pas vu depuis longtemps, pour se le rendre à nouveau familier.

En repensant au film, plusieurs semaines plus tard, ce sont des plans d'intérieurs vides, des plans d'objets (le carnet bien entendu) qui me sont revenus et j'ai été frappé par l'épaisseur de la matière, des couleurs et des tons. Avec ces petites caméras numériques, on s'attendrait à une image terne, lisse et sans consistance. Dans le film d'Alain Cavalier, c'est tout le contraire et j'ai tendance à penser que l'explication n'est pas à chercher dans la maîtrise technique et la post-production mais plutôt dans la démarche introspective du filmeur. C'est définitivement cette voix, inoubliable, qui reconstitue le passé et qui, par là, imprègne les lieux et les choses, et leur confère une densité unique.

En partant retrouver Irène, Alain Cavalier, vient aussi et sans en être vraiment conscient à la rencontre de ses spectateurs, il se fait notre compagnon de route, et c'est une grande chance pour nous de continuer à avancer avec en tête, le murmure glissant d'un homme aussi vibrant et passionné.

Raphaël Clairefond


samedi 10 octobre 2009

Critiques, vos papiers : Ultimate Game (M. Neveline, B. Taylor)

GAME OTHER

Si la prison revient fréquemment par ici ces derniers temps, sur le blog, ou sur le forum des Spectres, on pourrait dire qu'il s'agit d'une pure coïncidence du calendrier des sorties qui, à quelques semaines, mois d'intervalle, propose des films tels que Hunger, Mesrine, Un Prophète, Or, les murs, Bronson ou encore Ultimate Game (que nous allons évoquer dans un instant) qui viennent d'horizons aussi divers que variés mais qui ont tous pour trait commun l'incarcération.

On pourrait aussi évoquer le "fait d'actualité", tant il est vrai que ce qui se passe actuellement dans les prisons, en France en particulier, du nombre en hausse de suicides de détenus aux révoltes des gardiens quant à leurs conditions de travail en passant par les évasions, trouve un écho particulièrement vif dans les médias. C'est une possibilité car, après tout, bien des film sortent également et qui retiennent sans doute beaucoup moins notre attention, sur lesquels nous n'éprouvons pas forcément la nécessité de revenir, que ceux cités ci-dessus. Il importera tout de même de constater, en étant tenté de se mettre à l'écart de ce jeu médiatico-politique sans pour autant bien sûr ignorer la réalité de la situation, que cette actualité supposée, qui fait périodiquement les gros titres des journaux et dans la manière même dont elle fait sans cesse retour depuis des années, ne masque pas autre chose que les questions d'ordre politique très anciennes en France que posent ces lieux tabous que sont encore les prisons.

Ultimate Game, film d'anticipation de Mark Neveldine et Brian Taylor, est-il aussi un film d'émancipation ?

Le "Game over" des jeux vidéos signifie bien souvent pour les joueurs, non pas la fin du jeu, mais bien plutôt, la faim du jeu, le début d'une autre partie. C'est que, pour une raison x ou y, le joueur a perdu une vie et est de ce fait contraint de recommencer pour repasser par le point où il a, à un moment donné, cru trépasser.

Une fois n'est pas coutume, commençons par la fin pour évoquer Ultimate Game, par ce "Game over" qui s'affiche sur l'écran au dernier moment du film juste avant le générique final. C'est qu'au cinéma, un "Game over" n'est pas tout à fait un "The end" ni même un "That's all folks". Rejouons, nous aussi, le film. Prenons le temps de relancer les dés, en jouant différemment au second coup, en étudiant par exemple plus en détail la règle du jeu puisque nous aurions affaire à un jeu (filmé).

Kable, prisonnier emprisonné dans un jeu de massacre réservé aux condamnés à mort appelé Slayers, doit gagner un certain nombre de parties afin de soi-disant obtenir sa liberté. Ses faits et gestes sont pilotés à distances par Simon, un jeune joueur virtuose du jeu vidéo, mais il parvient tout de même à s'enfuir de l'arène de jeu qui lui est imposée et à partir à la recherche d'abord de sa femme enfermée, elle, dans un Sims avec des êtres humains, puis de sa fille retenue par le grand manitou de ce jeu vidéo directement relié à de la chair humaine qui fait un carton.

Le combat est classique, il oppose à ceux qui le séquestrent un esclave ayant soif de liberté, enfermé dans le jeu sadique et voyeuriste de gladiateurs d'un autre. Le cinéma a déjà, et de manières très différentes, raconté cette histoire. De Spartacus à Running Man, en passant par le bien nommé Gladiators de Peter Watkins.

Étudions donc un peu la règle du jeu. Pour être honnête, celle-ci doit nécessairement offrir une possible sortie au personnage désirant se libérer. Qu'en est-il réellement ? Nous l'avons vu, en clôturant leur film par le fameux "Game over", Neveldine et Taylor rabattent la liberté si chèrement acquise par Kable et sa famille (sic) sur une fin de non-recevoir. Cette inscription a une histoire dans le film, elle est sauvagement diffusée par un groupe de pirates rebelles qui envoient des messages d'émancipation aux usagers des jeux vidéos et à la masse des spectateurs devant les écrans géants, pour les prévenir du système mensonger dans lequel ils vivent. Avec ce "Game over" final, les cinéastes petits malins tombent dans le piège postmoderniste du simulacre intégral, quand bien même il se veut baigné dans un cadre sci-fi. L'image cinématographique n'aurait plus d'autre vocation que d'enregistrer un pseudo-réel dans lequel le virtuel prédomine toujours, l'ensemble du film n'étant en dernier recours qu'un jeu dans le jeu. La liberté des personnages est prise dans un jeu de poupées russes qui sans arrêt l'assujettit à rester de l'ordre du trompe l'œil au nom d'une soi-disant libération finale du spectateur qui devra quand même avant en avoir eu pour son argent. C'est un fait que, contrairement au travail politique d'un Watkins, Neveldine et Taylor ne remettent jamais sérieusement en question le spectacle qu'ils produisent. D'où l'intérêt qu'il peut y avoir à s'approprier leur "Game over" pour rejouer et effectuer au moins une ébauche de ce travail, une forme de critique de la critique.

Cet enchaînement en continu rappelle une publicité récente pour un de ces grands centres de détente construits de toutes pièces qui circulait récemment sur le net. Elle jouait la carte du produit qu'elle vendait contre une pseudo-aliénation des écrans fatals. On y voyait un personnage de jeu vidéo qui venait toquer de l'intérieur contre l'écran de la console, appelant le joueur qui s'était absenté à reprendre sa manette. Un élargissement du plan nous laissait comprendre que le joueur était parti pour l'un de ces parcs à piscine géante, entourée de végétation artificielle. C'est ainsi que d'une manière extrêmement roublarde était vendu au client potentiel un espace à la réalité reconstituée sous cloche contre l'espace d'un monde vidéo virtuel. Cette publicité opposait les deux sphères, là où du second espace au premier, il existait en réalité une sorte de continuum sans doute beaucoup plus inquiétant et monstrueux que l'espace de synthèse en lui-même qu'elle appelait à quitter suivant son intérêt. L'appel gentiment fasciste au corps sain pour rejoindre la sphère toc d'un de ces centres passait aussi par une interruption de programme, une forme de "Game over".

Nous l'avons vu, dans Ultimate Game, les personnages sont tous expédiés en dernière instance dans le virtuel pour sans doute nous renvoyer, nous, dans le réel. Mais le film, cantonné dans la gestion incessante de ses exploits pyrotechniques, échoue à nous donner une idée de celui-ci, à émettre une quelconque vérité, se bornant à dénoncer un mensonge.

Les cinéastes portent un regard extrêmement méprisant et haineux sur l'individu qui joue chez lui au jeu de Sims. Il y a ici un contraste saisissant entre cet homme outrancièrement gros (on pense à la caricature des humains bouffis satellisés de Wall-E), particulièrement répugnant, cloîtré chez lui dans le noir avec sa collection de télécommandes et d'écrans, et l'esthétique colorée et sans arrêt en mouvement de l'espace du jeu de Sims. Toutefois, le contraste s'annule d'une certaine manière tant, d'un côté comme de l'autre de l'écran, ce sont êtres monstrueux (ceux devant l'écran façonnant ceux derrière) et espaces archétypaux. Reconnaissons à Neveldine et Taylor le mérite de décrire là une société au stade terminal du matérialisme démocratique, c'est-à-dire au moment où celui-ci a totalement basculé dans une sphère virtuelle faisant l'apologie de la différence (proche en cela de la représentation-clientèle de tout un tas de publicités pour divers opérateurs téléphoniques ou internet) mais ne laissant prisonniers devant les écrans que rebus dans le "réel", qu'épaves larvesques se dépravant par procuration ou corps dandinant énergiquement.

Au contraire, dans Hyper Tension (2007), Neveldine et Taylor misaient sur une adéquation parfaite entre sphère réelle et sphère du jeu vidéo type Grand Theft Auto comme décors des exactions de leur personnage principal. Nous étions alors spectateurs de quelque chose qui avait tout à voir avec un de ces jeux critiqués dans Ultimate Game. Le virtuel, l'anéantissement du réel, contrairement à certains films français (mettons Le Convoyeur, par exemple), ne passait pas par un vidage des lieux pour pouvoir tourner le film, au contraire il fallait donner l'illusion d'une ville habitée mais réduire la population qui l'habitait à de vulgaires figurines, poupées de chiffons (ou de chiffres) qu'au gré des missions on renverse en voiture, on moleste, devant lesquelles on baise comme si elles n'étaient pas là. Dans Ultimate Game, les cinéastes passent de manière un peu hypocrite à un niveau surplombant, ils annulent leur critique en omettant de se placer eux-mêmes également nettement et dès le début du côté de ceux qui "tirent les ficelles". Leur choix paraît d'autant plus suspect quand on connaît leur penchant pour la réalisation de spectacles tels que Hyper Tension.

Voilà donc un cinéma largement emprisonné dans ses artifices de mise en scène, qui n'offre et ne s'offre pas d'autre liberté que de se cloisonner volontairement dans un périmètre par essence virtuel, dans lequel il n'y a pas juste du virtuel mais régit par le virtuel.

Jean-Maurice Rocher

samedi 3 octobre 2009

Le siècle : de(s) histoire(s), du cinéma

Les sports favoris, des hommes.

Depuis combien de temps n’avais-je pas revu Le sport favori de l’homme (Man's Favorite Sport ?) ?

Voir Le sport favori de l’homme est-ce la même chose que voir "Man's Favorite Sport ?" ?

Je pose la question, sans chercher à la construire, ici. J’y viendrai, une autre fois. Sans être obsédé comme moi par les transpositions françaises des titres des films de Hawks, vous aurez repéré la disparition de l’interrogation dans le titre français, qui affirme là où l’anglais se contente de questionner. La France apporte la réponse, met fin à l’incertitude. C’est bien le sport favori de l’homme, même si on ne sait pas très bien encore de quel sport il s’agit.

Man's Favorite Sport ?, c’est de 1964 ; c’est avec Rock Hudson et Paula Prentiss, une fille sympa d’origine sicilienne. Je précise sans que cela ait la moindre importance, pas plus que de savoir qu’elle a failli remporter un Emmy Award. Je l’avais plus ou moins vue, sans la reconnaître, ou plutôt sans savoir que c’était elle, dans deux films sans valeur, What's New, Pussycat ?, titre d’une chanson horrible de Tom Jones, et Catch 22, d’après le roman du même titre ; homonyme, donc. Elle se débrouille pas mal dans le film de Hawks, surtout lors de la scène, la seule qui me reste à l’esprit, où elle tente de convaincre Roger Willoughby, c’est-à-dire Hudson, de révéler, au risque de perdre son emploi, sa réputation, et tout ce qui va avec, l’argent, les filles, une vie heureuse, qu’il n’est pas le meilleur pêcheur du monde, mais un imposteur aidé par le hasard.

À partir de ce motif, on peut causer de tas de choses, de l’ironie du cinéma de Hawks, du décalage entre l’apparence et l’être, de sa non croyance en la virilité, ou tout simplement de la perte de puissance d’un homme qui n’y arrive plus. Man's Favorite Sport ?, c’est un film de vieux, à l’évidence. À l’époque, on était très dur avec ce genre de film ; on n’épargnait personne, ni Dreyer, ni Ford, ni Hawks ; dès qu’un vieux faisait un film, on le descendait. Maintenant n’importe quel vieillard a droit aux honneurs. Il n’a jamais été aussi jeune, etc. Alors, les critiques de cinéma avaient quelque chose de rock ; le cinéma, c’était un truc de jeune. Quand Tarantino raconte qu’il se voit pas faisant des films à soixante ans, il confirme que c’est plus un musicien qu’un metteur en scène ; à l’origine de son cinéma, il y a le rock, au sens large du mot ; c’est pour ça que ça foire dans le dernier. L’histoire du rock commence après la guerre ; l’intervention de Bowie est nulle, mais elle révèle combien Tarantino a dû souffrir de ne pas pouvoir rocker son film.

On raconte qu’avec Man’s favorite sport ?, Hawks cherchait à rendre hommage à son fameux Bringing up baby. C'est possible, mais il est sûr qu’il a foiré, parce que le bébé est devenu grand, et tout, vieux. Hawks n’a pas retrouvé son énergie dionysiaque, sauvage, délirante, son surréalisme. Il est vrai qu’il n’a pas été aidé par ses acteurs, qui ne furent pas son premier choix. Hawks aurait voulu tourner avec la jeune Hepburn et Grant, sans succès. Cary Grant, toujours aussi élégant et classe, avait atteint la soixantaine et se retrouver dans un film avec de très jeunes actrices ne lui disait rien qui vaille. Il passait son temps à s’afficher avec des jeunettes dans la vie, mais au cinéma, il ne voulait pas donner cette image de vieux cherchant à rester jeune en séduisant des gosses. Audrey Hepburn a aussi décliné la proposition, sans que je sache pourquoi ; mais il est évident qu’elle a eu raison, comme Grant. Ils se retrouveront plus tard, pour un film très hitchcockien.


Je n’ai rien contre Rock Hudson, que j’apprécie de plus en plus, ce n’est pas un mauvais acteur, mais on doit le préférer dans les mélodrames de Sirk, dans des rôles moins physiques. Il a un corps splendide, ça ne se discute pas, c’est un grand gaillard à l’air parfaitement con ; mais il manque de la puissance des héros de nos films d’action contemporains, je veux parler de l’étalon italien, du gouverneur de Californie, du vieillard qui a fait le dernier Indiana Jones, sans parler de leur maître à tous, l’increvable fasciste, mais fascistes, ils le sont tous, Bruce Willis, qui avait pourtant commencé sa carrière admirablement, avec cette série dont le titre m’échappe, où il tient le rôle d’un détective hyper cool ; j’en connais aucun qui soit aussi cool, à l’exception, mais il est hors concours, de Johnny Staccato (John Cassavetes), le détective pianiste de jazz. Rien que la voix-off, c’est une pure merveille.

Rock Hudson ne possède pas non plus l’adresse fantastique et burlesque de Cary Grant, un acteur formé à la grande école du music-hall, du cirque, du théâtre. Voyez ses acrobaties, par exemples dans Holiday de Cukor. Jamais Hudson n’y arriverait. Sa beauté est statique, classique, absolument pas sportive. Elle ne supporte pas le déplacement des lignes. Son prénom dit tout de l’essence de son jeu ; c’est un roc ; une statue. Il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il se tient debout, sans rien faire, l’air un peu triste, voire franchement mélancolique ; même parler peut nuire à la qualité de son jeu ; on n’imagine pas trop une statue grecque bavardant, et surtout pas à la vitesse folle des personnages des comédies de Hawks. Avec Hudson dans le rôle de Grant, jamais Hawks n’aurait pu montrer, avec éclat, et de manière convaincante, dans Bringing up Baby, que le corps contemplatif, pensant, le corps penseur, pouvait aussi bouger, courir, se tordre… bref, que les statues non seulement peuvent mourir, mais aussi s’animer, se faire burlesque, sans rien perdre de leur côté Rodin.

Bon, on peut trouver que j’exagère avec Hudson ; vrai, ce n’est pas un acteur physique, mais il peut courir, comme dans ce western horrible de Douglas Sirk, Taza, fils de cochise, sans mourir de ridicule, et il peut se battre, comme dans Géant, du moins il peut donner quelques coups de poing et en recevoir, comme on le faisait à l’époque. On savait alors cogner, et régler une situation en quelques secondes. Voyez John Wayne, je ne sais pas si vous y avez déjà fait attention, sauf exception, les bagarres avec lui ne durent jamais très longtemps.

Je sais pas si quelqu’un s’est intéressé à ce sujet, mais ne doutons pas que quand les bagarres ont commencé à se prolonger, à durer, quelque chose s’est passé de très important dans l’histoire de la représentation de la violence. Voyez ce que raconte Hawks des ralentis de La Horde sauvage, qu’il n’aime pas et trouve très artificiels. Pour lui Sam Peckinpah ne comprend rien. La violence c’est quelque chose de rapide. Vous n’avez le temps de rien voir. C’est le temps de la décision. On peut comprendre ce point de vue. Hawks a été un homme d’action. Il a pratiqué des tas de sports, dont le favori des hommes, la pêche, les courses de bagnoles, la chasse (au rhinocéros)…


D’où vient l’extension de la durée de la violence, dans le film de Sam Peckinpah, par exemple ? D’une demande du public, qui en veut toujours plus, comme le drogué ? De la guerre du Vietnam qui s’éternise ? D’une consommation excessive d’alcool, des drogues ? Voyez ce que dit Deleuze des durées recherchées par l’alcoolique. Ça n’explique rien ? Peut-être ; d’autant plus que Hawks, comme des tas de metteurs en scène américains, buvait lui aussi pas mal, sans atteindre le niveau de Peckinpah, l’un des plus grands alcooliques de l’histoire de Hollywood.

Sans que cela soit complètement fantaisiste, on pourrait aussi penser à une influence sur Hollywood des films de Kung Fu. Si Hawks trouvait bidon La Horde sauvage, et ses ralentis, on n’ose pas imaginer ses réactions devant un film comme Le Justicier de Shanghai. Non seulement il y a des ralentis, par millions, mais les bagarres, très malsaines, perverses, au couteau, mais surtout à la hache, de très petites haches, des hachettes, pour ainsi dire, durent des heures. À la fin du film, vous avez cette bagarre fameuse, dans une espèce de saloon asiatique, qui s’étend indéfiniment, le mauvais infini de Hegel (toujours un de plus) auquel seule la mort peut mettre une fin.

Il y aurait beaucoup à tirer de cette idée, de l’opposition des deux infinis chez Hegel, je pense. Bien des films tentent de nous donner une idée de l’infinie, par une terrible surenchère. Prenez Mon nom est personne, ou des tas de films du même genre ; on ne devient un héros qu’en affrontant un nombre toujours plus grand d’adversaires, de difficultés, de pièges. Devant nos héros contemporains, les héros des films d’action du passé ne pèsent rien ; au maximum ils vous tuent deux ou trois types ; je ne parle pas des « tués » indiens, ou non-occidentaux, qui ne comptent pas, ne s’additionnent pas plus que les morts afghans. Dans la production, c’est la même chose, des films toujours plus chers. Combien va coûter le nouveau Cameron ? Pas tellement plus que Ronaldo. Le règne du mauvais infini. « L’infini qui dans le progrès infini n’a que la signification vide d’un non-être n’est en fait pas autre chose que la quantité ». Le cinéma a largement perdu l’infini. Comparez la série des Alien, le passage du premier au deuxième expose le problème dès les titres : Alien, Aliens. En se multipliant, le monstre perd sa distance infinie. On passe de la question métaphysique de l’altérité, à celle, tout à fait physique, de la guerre.

La bagarre du Justicier de Shanghai, un seul mec contre des millions de voyous, servira de modèle à Tarantino dans son premier volume de Kill Bill, et là, encore, comme souvent, Tarantino peut se rhabiller, lui qui prétend à chacun de ses films, c’est son complexe Kubrick, chercher à porter au sommet le genre auquel il touche. Comparez les deux bagarres, et vous verrez. La bagarre de Kill Bill manque de vie, et donc nécessairement de mort. L’auteur du Justicier de Shanghai, Chang Cheh, filme des corps, des choses, des matières, du métal, de la chair, afin de dégager une idée sensible, absolue, riche, insistante. Tarantino filme des images. L’un fait du cinéma avec de la vie et de la mort, l’autre transforme le cinéma, la mort, la vie, et l’art du sabre, et toute sa philosophie, zen, bouddhiste, en image. Je ne lui en veux pas ; pas personnellement ; c’est sa vie, il fait comme il peut ; mais il faut bien saisir la différence, entre un cinéma de genre qui trouve son origine dans une véritable « tonalité originaire », et un cinéma qui se nourrit des genres séparés de leur sol d’émergence, humain, historique, voire historial. Imaginez un peintre sans foi, sans croyance, qui vous fait des copies d’œuvres animées par une foi substantielle, et vous sentez mon idée. Jolie remarque de Monte Hellman dans le dernier numéro des Cahiers. Le temps fou qu’il a fallu à Tarantino, un génie qui aurait mûri trop vite, pour acquérir ses connaissances encyclopédiques du cinéma, à mon avis surfaites, l’a éloigné de la vie. Surfaites, parce que comme disait Aristote, ce n’est pas parce que vous aurez vu, fait l’expérience empirique d’un millions de chevaux, que vous savez ce qu’est un cheval. Ne pas mélanger savoir encyclopédique, empirique, et savoir essentiel, savoir de l’essence. Ça marche encore mieux avec l’exemple du triangle.

Mais que je ne m’éloigne pas de Chang Cheh. Cette bagarre, ça n’en finit pas ; vous avez presque honte de continuer à regarder, mais vous continuez tout de même ; je sais pas pourquoi, peut-être parce que cela n’a aucun sens. Plus cette bagarre se prolonge, plus vous vous éloignez de ses raisons, de ses causes, et par conséquent de l’origine même de la violence. Tout cela n’a aucune raison d’être, vous vous dites. Vous pensez, en quelque sorte ; pas beaucoup, mais assez, pour atteindre à une idée morale, celle qui va ramener le « bon » du film à sa campagne. Et puis, côté réalisation, c’est filmé avec un rythme très étonnant. Je ne dirai pas que c’est de la chorégraphie, je vous ferai pas ce coup trop attendu, d’autant plus que je songe bien plus à un morceau de Nirvana qu’à la danse contemporaine. Après le calme la tempête. Un moment, on croit le héros, si on peut appeler un mec pareil un héros, sur le point de mourir. On se dit qu’il a renoncé à la vie, à la lutte, à tuer. Il se traîne. Il bouge à peine, c’est une bête à l’agonie. Ses ennemis le regardent tandis qu’il agonise, et nous regardons avec eux. Il a reçu des coups de haches, de couteaux… sans parler des coups de poing, des coups de pied, pourtant ils n’osent pas l’approcher pour lui porter un dernier coup, car dès qu’ils s’y risquent, ils provoquent un terrifiant déchaînement de l’instinct de survie de l’agonisant. Un pur emportement du conatus le plus sauvage.

Je parlais de saloon, c’est pas par manque de vocabulaire, ou par refus de la précision, mais pour ne pas oublier Sam Peckinpah, et pour esquisser une allusion très fine au titre abracadabrant de la première sortie en France de ce film : La brute, le bonze et le méchant. Un titre absolument sans rapport avec ce film, qui raconte l’histoire d’un gars venu de sa campagne tenter sa chance en ville, avec un ami, ou un cousin, un type bien, peut-être le bon du titre, mais un bon qui ne fout rien. C’est du classique, cette histoire de gars venu de sa campagne tenter sa chance en ville ; c’est comme dans la chanson de Chuck Berry, Johnny B. Goode, mais là c’est la guitare qui doit aider le petit gars à se hisser au sommet du monde, pas le Kung Fu. Bien des films chinois racontent cette histoire de pauvres gars arrachés à leur vie quotidienne. À la différence des personnages d’un Jia Zhang Ke, ceux de Chang Cheh ont un excellent Kung Fu, qui leur permet de s’en tirer, et de venger leurs parents, amis, ou maîtres. Au début, on est avec le héros, on le trouve sympa, le principe d’identification marche. On en oublie les limites de la conscience du héros et les théories de Brecht. Il bosse, il est exploité, humilié, insulté. Ça ne lui plaît pas, mais ça ne lui met pas non plus en tête des idées de luttes politiques, ou sociales, il ne pense qu’à lui-même, et à sa propre réussite sociale. Il a le sens de sa valeur, à défaut d’être animé par une quelconque idée de dignité humaine. Son pote lui dit de se calmer, que c’est dangereux et tout, mais rien ne peut le faire changer d’avis. Il veut devenir un big boss. Son ambition s’actualise quand il rencontre un voyou très beau, avec une espèce de voiture à cheval. Encore un parfait exemple de la pure fixation imaginaire du désir mimétique. On pense aussi au canard de Lorenz. Il veut être comme le gars, mais on se dit aussi qu’il tombe amoureux de ce voyou. Ça finira mal, pour tout le monde.

Je n’aime pas trop ce film ; je crois que l’on ne peut vraiment aimer un film de Kung Fu que si le héros est aimable, très humain, habité par des valeurs bouddhistes zen, ou voisines, comme dans La Main de fer de Cheng Chang Ho, ou dans La Trilogie de la 36ème chambre. Si ce film a un quelconque intérêt, c’est par sa mise en scène, très différente de celle d’Hitchcock, dans Torn Curtain, de la difficulté de tuer un homme. Impossible de tuer Ma Yung Cheng ; le mec ne peut pas mourir ; la mort impossible. Et je vous assure que vous ne souhaitez qu’une chose durant toute cette affaire, qu’on en finisse avec lui. Ils y arrivent, finalement. Le type meurt, et son pote rentre dans sa campagne tranquillement ; loin des violences citadines, de Shanghai, et de ses gangs à la hachette. Je crois ne pas inventer cette fin très morale.


Je ne vois aucun rôle à Rock Hudson dans ce film, trop grand, massif, lourd ; ou plutôt, il aurait pu tenir le rôle de ce Russe, le champion du vilain, que des tas de pauvres types affrontent pour se faire des sous. Ils se font tous démolir, avant que le héros du film ne se décide à tenter sa chance : un moment de pure jubilation, où le corps chinois se moque méchamment de la lourdeur du corps communiste, soviétique.

Le film de Hawks ? Oui, j’en ai pas trop parlé, et il faut le faire, comme c’est censé être le sujet de ce texte ; mais sait-on jamais réellement quel est le sujet d’un texte, ou son objet ? Faisons comme si nous savions, et disons quelques mots du film. D’abord, je crois nécessaire de souligner que c’est très moral. Il s’agit de dénoncer les apparences, le déclin de l’authenticité, de la virilité, la rupture des liens de l’homme à la nature sauvage, la sienne et l’autre. D’un point de vue humain, et comique, c’est basé sur un vieux truc, l’histoire du grand jockey qui n’est jamais monté à cheval, du grand amant qui n’a jamais baisé. Roger, Rock Hudson, bosse dans un magasin d’articles de pêche. Il a écrit ce qui semble dans cet univers le manuel du parfait pêcheur. Célèbre et tout, il fait autorité. Seulement, c’est du toc, de la théorie détachée de l’expérience. Roger n’a jamais pêché, et il déteste les poissons, physiquement. Un concours de pêche auquel son patron l’oblige à participer, pour vendre encore plus d’articles, et qu’il remporte par hasard, révèle la supercherie, ou plutôt le concours ne révèle rien, c’est le mec lui-même qui raconte que c’est le hasard et non la technè qui est à l’origine de son triomphe. Sur la ligne sentimentale et érotique, une publiciste suit le pêcheur, et le chauffe pendant tout le film. Et on comprend, sans trop se casser la tête, que le poisson dont le mec a peur, c’est un poisson aussi métaphorique que l’os de Bringing up Baby. C’est le phallus, bien que Hawks semble confondre phallus et pénis. Finalement, par un joli retournement de situation, qui pourrait se lire de manière assez heideggérienne, ou en terme de supplément, au sens de Derrida, tout rentre dans l’ordre du monde capitaliste. Le mec réussit à se taper la publiciste ; s’il n’aime pas le poisson, sans en avoir l’air, il embrasse comme un dieu, provocant chez cette fille des chocs affectifs assez incroyables, que Hawks métaphorise comme un collégien bourré de cartoons.

Rock Hudson (que j’apprécie de plus en plus) n’est pas mauvais, on se dit même parfois que son choix était intentionnel. Qui mieux que lui peut incarner le contraire des personnages classiques de Hawks. Cette piste peut se tracer, un moment, mais on arrive vite au bout. Hélas, si on peut imaginer Sisyphe heureux, on ne peut pas imaginer Rock Hudson courant, ou alors uniquement comme un mort-vivant old school. Même si Man’s favorite sport ? n’est pas une comédie d’action, son incapacité à bouger prive le film de toute espèce de crédit. Je me demande s’il n’a pas été doublé lors de la scène de l’ours. Vous me direz que John Wayne, grand gaillard, et grand personnage hawksien, ne savait pas non plus courir ; c’est vrai, mais c’est pas le problème ; et de toute manière Hawks ne lui a jamais demandé de courir, ou alors pas trop vite. Tout le monde n’est pas Patte-de-Jaguar. Rares sont les acteurs qui courent avec classe, conviction, authenticité. En ce moment, j’en vois deux : Paul Newman, et bien entendu, mais dans un tout autre style, Dustin Hoffman. Le maître absolu étant Buster Keaton.

Que dire de plus de ce film, sans donner l’impression qu’il ne m’intéresse pas trop ? Je ne sais pas trop. Je peux inventer des tas de choses, très amusantes, brillantes, mais l’envie n’y est pas ; ce serait aussi toc que ce film, et je ne peux pas pousser l’identification de ma rhétorique à son objet à ce point. Man’s favorite sport ?, c’est un de ces mauvais films de fin de carrière, qui regardent vers le passé, se souviennent et pleurent les mondes disparus. Tous les grands cinéastes y sont passés. Hawks n’y croit plus, et veut régler ses comptes avec l’idéal de la virilité, toutes ces sottises qu’il est bon de sortir quand on veut prouver au monde ne rien savoir de Hawks, en dehors de quelques clichés mis en circulation par Hawks et ses agents, et repris par les critiques français, dont les plus brillants : l’équipe, la virilité, l’éthique du professionnel, le cynisme… Dans Man’s favorite sport ?, on ne retrouve plus rien de ces valeurs. La théorie a vaincu l’expérience pratique ; les héros doivent tout au hasard, et aux campagnes de publicité. C’est bien triste, cette manière qu’ont bien des cinéastes, en fin de partie, de détruire les illusions esthétiques, morales, humaines, qu’ils se sont donné tant de peine à construire. Tout le monde y perd ; parce que si on y croit pas trop à ces conneries, c’est toujours instructif, et distrayant, de voir des films qui nous donnent le sentiment d’y croire. Si on ne croit pas en John Wayne ou en Eastwood, ça peut être marrant de les voir passer leur vie à tenter de nous faire oublier qu’ils n’ont jamais fait la guerre, qu’ils n’ont jamais tué personne ; ce qu’ils semblent regretter, surtout Eastwood, avec sa complaisance à jouer les tueurs d’enfants, comme dans Unforgiven, et son dernier chef-d’œuvre. L’essentiel, comme disait Deleuze, après Ford, mais surtout après Nietzsche, c’est pas que le rêve soit vrai ou pas, mais d’y croire ; c’est un rêve, rêvons-le jusqu’au bout. Faut pas laisser le voile de Maya se déchirer, même si, comme disait le grand Welles « les durs, ça n’existe pas ; un dur c’est juste un mec avec quelques petits trucs » ; c’est dans La Dame de Shanghai qu’il délivre cette sagesse, si je me goure pas. Rien de moins américain.

Hawks est américain, et un Américain n’est jamais aussi bon que le regard tourné vers l’avenir, vers le futur, du moins si on doit en croire Emerson, et Cavell, deux des grands publicistes de l’américanité. Dans ce film, non seulement Howard Hawks regarde en arrière, mais il essaye aussi d’être dans le coup, dans le coup des années 1960, bien entendu, en s’ouvrant à l’altérité, avec des blagues bouddhistes zen et un personnage d’Indien censé représenter je ne sais pas très bien quoi, ou alors des tas de choses, comme la bêtise de Hawks, qui semble pas s’être remis du scalpage du général Custer.



(Borges)