jeudi 30 juillet 2009

Cinéma(s) aux marges : Cartes postales au service de l'imaginaire

Cartes postales au service de l'imaginaire



Lors d'une visite au musée René Magritte qui a récemment ouvert ses portes à Bruxelles, je suis tombé sur ce tableau, datant de ses débuts, intitulé La lectrice soumise (1928). L'expression d'effroi qui se lit sur le visage de la femme peinte en train de lire est frappante.

Magritte joue, probablement par pure provocation, pour choquer justement, de cette opposition absurde entre l'activité de la femme et son attitude totalement disproportionnée et caricaturale par rapport à celle-ci. On est loin de l'image proustienne calme du petit Marcel qui lit paisiblement au pied d'un arbre à Combray, se laissant imprégner des éléments alentours alors que le contenu des pages lues bouillonne intérieurement, dans Du côté de chez Swann (1913). Lointaine, aussi, la sérénité et la retenue aristocratique dans l'intimité de la Femme lisant une lettre (1662-1663) de Vermeer que l'on peut découvrir pas si loin de là, au Rijksmuseum d'Amsterdam.

Ici, la lectrice est "soumise" (comprenons : à ce qu'elle lit), suivant le titre du tableau qui suppose qu'une émotion aussi intense et brutale que la sienne puisse se faire jour à la lecture des mots d'un livre (surréaliste ?) dont les pages nous capturent plus qu'elles ne nous captivent. Les traits émotionnels de stupéfaction présents sur le visage de la femme me paraissent plus proches de ceux qui peuvent apparaître sur le visage d'un spectateur de cinéma pris au piège d'une astuce propre à faire frémir, sursauter le public. Le cinéma est cet art capable de dilater et de condenser une action dans le temps et ainsi de déclencher ce genre de sensation extrême chez les spectateurs. Une ruse que l'on trouve tout aussi bien aujourd'hui encore dans bon nombre de films avec apparitions diverses lors du climax, comme aux tout débuts du cinéma dans le film des frères Lumière qui surprit beaucoup le public, L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat (1895).

Comme le rappelle Estrella De La Torre Giménez (1), Magritte est peu connu comme cinéaste même s'il a réalisé de nombreux films surréalistes. Toujours selon E. De La Torre Giménez, un certain nombre de ses films suivent les axiomes du programme d'Artaud concernant les films surréalistes : "Erotisme, cruauté, goût du sang, recherche de la violence, obsession de l'horrible, dissolution des valeurs morales, hypocrisie sociale, mensonges, faux témoignages, sadisme, perversité, etc., etc." Nul doute que l'objectif de Magritte était alors de provoquer, chez un certain public, le type de réaction terrifiée lu sur le visage de sa lectrice. Il est toutefois peu probable que ses films choquent encore à lors actuel, à l'heure où Magritte et les acteurs du surréalisme ont terminé au musée.

JM (not a dull boy)

(1) Dans Les essais cinématographiques de René Magritte, E. De La Torre Giménez, Cahiers du centre de recherche sur le surréalisme, Mélusine n°24, Le cinéma et les surréalistes, pp. 125-135.

Illustrations (de gauche à droite) : La lectrice soumise, René Magritte, 1928 et Femme lisant une lettre, Johannes Vermeer, 1662-1663.