vendredi 9 janvier 2009

Mal vu mal dit : Le critique et l'apprenti

L'apprenti de Samuel Collardey, a obtenu en 2008 le prestigieux Prix Louis-Delluc du meilleur premier film français, formant avec La vie moderne, également récompensé, un étonnant dyptique sur les agriculteurs et la vie en milieu rural. Dans les Cahiers du Cinéma (n°640), Jean-Michel Frodon a rédigé une critique sur L'apprenti, y décelant d'indéniables qualités de mise en scène, une finesse dans le traitement du sujet, bref, un travail plein de promesses. La reconnaissance officielle du film a donc du le réjouir. Dans sa barbe, il a du esquisser un sourire et penser « C'est bien, voilà qui est juste ». Tout serait pour le mieux, dans le meilleur des mondes.

Seulement, à la fin de son texte, il se fend d'une remarque qui sonne comme une fausse note chevrotante dans le concert d'éloges unanimes. Mr Frodon nous explique sans sourciller qu'il voit dans L'apprenti, « Des souffles et des vibrations qui ont bien des choses à nous dire. Puisque finalement on pourrait légitimement poser la question : qu'est-ce que j'en ai à faire de la vie d'un adolescent de Franche-Comté qui travaille dans une ferme ? Avant le film, en ce qui me concerne, rien ». adopte ici le point de vue narcissique de l'esthète, du critique enfermé dans sa tour d'ivoire qui ne scrute le monde derrière sa fenêtre que pour y chercher matière à jouissance des yeux et de l'esprit; affirmant de manière péremptoire, le partage de deux mondes qui fonctionneraient en vase clos : celui des « penseurs » d'un côté, celui des « petites gens », des travailleurs de la terre de l'autre. Dans ce schéma, l'apprenti agriculteur ne trouve grâce à ses yeux qu'en tant qu'il lui est présenté dans une forme cinématographique séduisante : heureusement qu'il y a de bons cinéastes pour nous rendre intéressante la vie si laborieuse de ces individus !

C'est bien la peine de placer un mois plus tard La vie moderne dans son Top 10 de l'année; de porter aux nues quelqu'un qui a passé des années de sa vie à visiter des fermes, à tisser des liens d'amitié étroits avec des paysans, alors même qu'il était reconnu comme une star de la photographie à Paris et dans le monde entier, alors même qu'il côtoyait l'élite artistique et politique.
C'est bien la peine de célébrer En avant jeunesse et le reste du cinéma de Pedro Costa, lui qui s'est échiné, des années durant, jour après jour, à inscrire l'histoire des immigrés capverdiens dans une grande forme cinématographique, à faire de l'ouvrier Ventura, le héros d'un récit mythologique ample et tragique.
Ces deux hommes-là sont des exemples parmi d'autres d'artistes dont la démarche, dans son essence, consistait à aller à la rencontre de l'autre, à se rendre disponible pour écouter et faire circuler une parole inaudible. Ils n'ont jamais vendu leur intégrité, ils ont toujours cherché, dans leurs choix, à défendre une politique d'émancipation de l'individu, qui ont voulu, et ce quelque en soit le prix, reconfigurer le partage du sensible. Ils n'ont, eux, jamais séparé leur vie, leurs amitiés, de leurs pratiques artistiques et de leur pensée.

Voici donc un bel exemple de critiques « engagés » qui, probablement réunis au Fouquet's pour la remise du Prix, ont du trinquer au champagne pour célébrer la reconnaissance de ces pauvres gens, tout en se félicitant en leur for intérieur que ces derniers demeurent dans leur campagne profonde, eux qui s'y sentent si bien ! Une fois encore, à l'occasion de cette bien triste histoire, le titre d'un documentaire récent sur une autre polémique nous revient à l'esprit : « C'est dur d'être aimé par des cons ! »

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