samedi 29 août 2009

Cinéma(s) aux marges : Sons bandés

Sons bandés


Les films états-uniens de guerre, à propos de la guerre, récents donnent un aperçu de la musique circulant dans les rangs des soldats au cours des guerres actuelles au Moyen-Orient. En effet, la musique rap semble avoir remplacé le rock des années 70. Waltz with Bachir, le film d'Ari Folman qui se situe dans les pas d'Apocalypse Now (1979) comme le précise Adèle Mees-Baumann dans son article (Valse avec Bachir, Spectres du cinéma #3, pp. 31-42), nous rappelle la consommation de musique psychédélique par les soldats sur le terrain dans les années 70 jusqu'au début des années 80. Du Vietnam au Liban, les troupes se "shootaient" à une musique représentant la bande-son du trip des combats ainsi déréalisés. Aujourd'hui, il en va un peu différemment.

Si les combats sont de moins en moins matérialisés, les soldats encore sur le théâtre des opérations des guerres impériales paraissent se galvaniser plutôt dans la violence des rythmes secs, syncopés et agressifs du rap. Ainsi, dans des films de propagande tels que Three Kings (2000, avec le rappeur Ice Cube) ou Jarhead (2006), le rap fait son apparition parfois au prix d'un détour subtil. Par exemple, le "Fight the power" de Public Enemy, chanson aux résonances révolutionnaires dirigée à l'origine contre le pouvoir aux USA, se trouve réapproprié par les soldats combattant les irakiens. J'ai le souvenir qu'au début de Inland (2009) des frères Teguia, un personnage de jeune rebelle qui s'insurge contre l'état algérien assimile le rythme de la répression étatique a celui de la musique rap qui la dénonce. C'est comme cela qu'une musique populaire qui s'oppose au matraquage de l'oppression par un geste de matraquage rythmique en retour, peut voir la violence qu'elle propage, pour autant que l'on considère que le bien-fondé de celle-ci ne saurait être détaché de son but, se retourner finalement contre elle-même totalement vidée de son contexte et de son fond.

Le fond : les paroles, qui constituent déjà pour Philippe Lacoue-Labarthe le (dire) trop de ce genre musical-là par rapport au jazz dans la mesure où elles paraissent mettre en évidence une absence de dit qui se suffirait en lui-même dans la musique, dans la partie instrumentale. Ce qui doit bien pouvoir se discuter, d'un point de vue rythmique justement, guerrier. On se souvient de l'emploi du rappeur Ice Cube par John Carpenter dans son dernier long-métrage en date, Ghosts of Mars. Le rappeur incarnait certes un guerrier, mais outlaw, qui ne manquait pas de renvoyer aux spectateurs les excès et manquements aux lois de l'ordre établi en les retournant contre celui-ci.

Le recyclage de mauvais goût opère rigoureusement de la même manière lorsqu'en 2006 Sofia Coppola actualise sa Marie-Antoinette très tendance rebelle style Madame Figaro à la sauce punk des Sex Pistols.

Dans l'abject Standard Operating Procedure (2008), un soldat états-unien, gardien de la prison d'Abou Ghraib, explique avec beaucoup d'amusement et de complaisance devant la caméra comment un jour il a eu l'idée de jouer la chanson "Hip-Hop Hooray" (du groupe de rap Naughty By Nature) à tue-tête afin d'empêcher les prisonniers de trouver le sommeil. Mobilisant mentalement les troupes, le rap "hardcore" devient aussi instrument de torture des ennemis. Les rythmes qui interdisent (à tous) de dormir se substituent aux nappes sonores favorisant la rêverie éveillée des générations précédentes.

Et la guerre ? En musique, elle continue…

"En un sens, la question révolutionnaire est désormais une question musicale."
Tiqqun

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