POING D'HONNEUR
Bronson raconte l'histoire vraie d'un tough guy anglais qui, incarcéré pour des braquages, met un point (poing ?) d'honneur à devenir une star des prisons par la violence qu'il y engendre. Il raconte aux spectateurs, dans un one man show crâneur et bouffon, ses diverses exactions.
S’il est vain de chercher dans Bronson une quelconque vérité sur le monde carcéral, encore moins une critique, on y trouvera par contre tous les poncifs d’une image récente et spectaculaire de cet espace (nous y reviendrons plus en détails prochainement) ; la prison, c’est la loi du plus fort, on s'y barbouille de son caca, etc. Son auteur, Nicolas W. Refn, le dit bien, il a cherché en faisant ce film à "se faire plaisir", c'est-à-dire à parler de lui-même avant quoi que ce soit d'autre (1). Et comme Nicolas W. Refn fait correspondre sa façon de faire des films à la manière dont il se droguait, pourquoi ne pas voir dans Bronson un film sur la drogue. En effet, son auteur aligne, avec une constance de métronome, plus ou moins dix ou quinze fois la même séquence que l'on peut décomposer de la sorte : Bronson fait une connerie (hors prison , braquer ; dedans, molester), moment de calme durant lequel il attend sa sanction avec le sourire, la sanction arrive il s'y confronte, il se retrouve enfermé. Soit, décomposé autrement : excitation intense à l'idée de se faire un fix, calme de la préparation, injection flash, redescente. Voilà, semble-t-il, essentiellement le rouage choc et toc sur lequel repose le film, le tout noyé dans une représentation de l'Angleterre des années 70 rance, peuplée de "gueules" qui feraient bonne figure dans un film de Caro & Jeunet. Autant dire que cela ne va pas très loin.
Le choix de la narration sur scène pourrait être une bonne idée (le passage durant lequel Bronson joue en double-face est d'ailleurs intéressant, c'est bien le seul), créant un décalage brechtien entre ce qui est montré excessivement dans la partie racontée par le personnage et la réalité, visant à faire apparaître quelque vérité dans le fatras de complaisance. Mais en fin de compte tout se brouille, la mise en scène se plaçant résolument du côté du coq Bronson qui déroule un programme à la brutalité gratuite, offrant un spectacle aussi exaltant qu'une baston de hooligans à la sortie d'un match de football visionné sur un écran de contrôle de police. Les pitreries du personnage, la conscience systématique avec laquelle il attend à chaque coup sa punition corporelle avec un masochisme non dissimulé (délice de l'attente que Refn voudrait véhiculer aux spectateurs), révèlent seulement le trouble égocentrique d'un individu porté sur la bagarre, qui a très bien saisi comment fonctionne le système répressif pénitentiaire avec les fortes têtes et qui aime ça. Complice du personnage qu'il invente (c'est la moindre des choses), le cinéaste ne laisse pas beaucoup de place aux spectateurs, il nous tend en miroir le public du théâtre de Bronson, masse bien à sa place qui rit et applaudit lorsque le pitre n'en attend pas moins d'eux. Peut-être Refn essaye-t-il ici de nous dire quelque chose sur la condition du spectateur mais tout cela est bien flou. Sans doute ce film est-il assez représentatif, et se repaît-il (car que peut-on en faire d'autre ?), d'une forme de violence postmoderne "imperméable à toute réflexivité", pour reprendre les propos de S. Zizek (2). Vont dans ce sens le fait que Bronson tout au long du film raconte sa vie de manière auto-satisfaite, que même l'introspection par l'art ne le sauve, et qu'à la fin il revienne à la case (cage ?) départ. Vacuité extrême du programme consistant à provoquer l'anarchie là précisément où celle-ci est le plus facilement et automatiquement durement réprimée. Nous assistons à une sorte de jeu absurde du chat et de la souris se déroulant entre quatre hauts murs lisses dans une pièce vide et dans lequel la souris provocatrice faisant un bras d'honneur au chat sort forcément perdante à tous coups car les acteurs de ce jeu ne sont pas personnages de cartoons.
La performance de Tom Hardy, souvent saluée ailleurs, se réduit pourtant à un cabotinage surlignant grossièrement le côté "pitre de la prison" du personnage. Le jeu de l'acteur ajoute une couche épaisse à la complaisance d'un projet moins tourné vers que braqué sur le Bronson fantasmé par Refn. On peut revenir plus en détails sur sa prestation en remarquant quelques similitudes avec l'emphase bouffonne du Joker dans le premier Batman. Le maquillage qu'arbore à certains moments Hardy sur scène renforce cette impression. A un visage sans expression, hautement sérieux, qui se veut mimant l'ennemi, s'oppose généralement quelques instants après un rictus forcé. Chaque sourire narquois est ainsi une petite victoire sur le masque, lui résolument impassible, de ses bourreaux. Mais ce sourire est purement mécanique, totalement dépourvu d'affect. Il ne semble pas répondre d'une intention de déstabiliser l'adversaire en lui montrant un visage inattendu, exprimant quelque chose de plus haut que cette dureté de traits uniforme des visages des gardiens de prison, mais plutôt d'une intention de le narguer encore une fois (une dernière fois, lors de la scène où il est remis en liberté).
Henry-David Thoreau, dans son texte fondateur intitulé La désobéissance civile, exprimait sa profonde satisfaction d'avoir été enfermé dans une cellule de prison suite à son refus de payer des impôts à l'Etat de son pays. La prison était le lieu le plus naturellement sûr pour vivre en toute liberté parmi les hommes dans les Etats-Unis où il vivait. Tel était, du moins, son point de vue, et il lui semblait qu'il n'était pourtant partagé par nul autre de ses voisins à l'extérieur ou de ses gardiens à l'intérieur qui, comme il le disait : "dans chacune de leurs menaces, dans chacun de leurs compliments, commettaient une bévue, car ils s'imaginaient que mon plus cher désir était de me trouver de l'autre côté de ce mur de pierre. Je ne pouvais que sourire de leur zèle à enfermer à clef mes méditations, qui les suivaient dehors sans obstacles ; or ce n'était vraiment que d'elles que venait le danger." Ce sourire-là de Thoreau semble plus rayonnant de promesse que le rictus de Bronson jouant les revirements brutaux d'émotions avec les spectateurs.
Dans Hunger (2008) de Steve Mc Queen, on pouvait constater (voire regretter) l'absence de recul du cinéaste vis-à-vis de son sujet, livrant dans un certain sens un film plutôt "classique" dans lequel un réalisme brut primait absolument, entraînant le cinéaste à faire des choix qui furent par certains jugés douteux. Mais le combat individuel et collectif, politique (et Mc Queen avait su en prendre toute la mesure) qui se déroulait derrière les murs de la prison avait une toute autre résonance que les délires égocentriques du personnage principal de Bronson. Dans ce dernier film, on ne peut nier qu'une certaine forme de distanciation est de la partie mais au profit de rien, d'aucune idée, d'aucune prise de conscience. Dans un sens, le comportement de Bronson sur les planches pourrait rappeler les clowneries narcissiques de HPG dans On ne devrait pas exister (2006). HPG, comme le Bronson de Refn, reste dans sa cage en ne jouant pas, en ne bougeant pas de sa position. Chez les deux on retrouve cette aliénation poussant à ne pas changer (même si ils essayent, l'art pour Bronson, le jeu traditionnel pour HPG), à rester rivé sur ses positions comme si tout choix était résolument impossible, ruiné par l'impulsion la plus forte. Les deux films sont des boucles, on termine là où ça a commencé. Le comportement auto-centré est tellement prégnant qu'il ne leur offrirait pas d'alternative, mettre cela en avant (dans son film pour HPG, dans son show pour Bronson) est un peu curieux mais en même temps un nouvel aveu de ce que le narcissisme passe avant tout chez eux. Personnages n'ayant pas d'autre chose à offrir aux spectateurs que leur narcissisme exacerbé, plaidant leur cause avec leur poing ou leur queue brandie en avant. Refn répondrait probablement que c'est ça aussi être artiste, que pour un cinéaste, une caméra vaut bien un chibre, un poing ou une seringue..
L'exercice qui consiste à casser le maximum de gueules de matons se révèle comme prévu complètement vain, aussi vain que les frasques sexuelles de la fille Hilton qui visent à faire parler d'elle dans les tabloïds. On apprend à la fin du film que Bronson est toujours en prison. La célébrité a un prix, pourtant N. W. Refn n'en démord pas, il rêve lui aussi de la gloire. A défaut de faire la couverture des magazines de cinéma avec son nouveau film, nous lui devions bien ces quelques mots comme modeste contribution à sa si possible future renommée…
(1) On pourra lire l'entretien en ligne avec le cinéaste à cette adresse.
(2) Le spectres rôde toujours, S. Zizek, pp.16-18. On pourra lire un court extrait de ce passage en note dans le numéro 2 des Spectres du cinéma (pp. 56-57) dans un article consacré au philosophe slovène.
Bronson raconte l'histoire vraie d'un tough guy anglais qui, incarcéré pour des braquages, met un point (poing ?) d'honneur à devenir une star des prisons par la violence qu'il y engendre. Il raconte aux spectateurs, dans un one man show crâneur et bouffon, ses diverses exactions.
S’il est vain de chercher dans Bronson une quelconque vérité sur le monde carcéral, encore moins une critique, on y trouvera par contre tous les poncifs d’une image récente et spectaculaire de cet espace (nous y reviendrons plus en détails prochainement) ; la prison, c’est la loi du plus fort, on s'y barbouille de son caca, etc. Son auteur, Nicolas W. Refn, le dit bien, il a cherché en faisant ce film à "se faire plaisir", c'est-à-dire à parler de lui-même avant quoi que ce soit d'autre (1). Et comme Nicolas W. Refn fait correspondre sa façon de faire des films à la manière dont il se droguait, pourquoi ne pas voir dans Bronson un film sur la drogue. En effet, son auteur aligne, avec une constance de métronome, plus ou moins dix ou quinze fois la même séquence que l'on peut décomposer de la sorte : Bronson fait une connerie (hors prison , braquer ; dedans, molester), moment de calme durant lequel il attend sa sanction avec le sourire, la sanction arrive il s'y confronte, il se retrouve enfermé. Soit, décomposé autrement : excitation intense à l'idée de se faire un fix, calme de la préparation, injection flash, redescente. Voilà, semble-t-il, essentiellement le rouage choc et toc sur lequel repose le film, le tout noyé dans une représentation de l'Angleterre des années 70 rance, peuplée de "gueules" qui feraient bonne figure dans un film de Caro & Jeunet. Autant dire que cela ne va pas très loin.
Le choix de la narration sur scène pourrait être une bonne idée (le passage durant lequel Bronson joue en double-face est d'ailleurs intéressant, c'est bien le seul), créant un décalage brechtien entre ce qui est montré excessivement dans la partie racontée par le personnage et la réalité, visant à faire apparaître quelque vérité dans le fatras de complaisance. Mais en fin de compte tout se brouille, la mise en scène se plaçant résolument du côté du coq Bronson qui déroule un programme à la brutalité gratuite, offrant un spectacle aussi exaltant qu'une baston de hooligans à la sortie d'un match de football visionné sur un écran de contrôle de police. Les pitreries du personnage, la conscience systématique avec laquelle il attend à chaque coup sa punition corporelle avec un masochisme non dissimulé (délice de l'attente que Refn voudrait véhiculer aux spectateurs), révèlent seulement le trouble égocentrique d'un individu porté sur la bagarre, qui a très bien saisi comment fonctionne le système répressif pénitentiaire avec les fortes têtes et qui aime ça. Complice du personnage qu'il invente (c'est la moindre des choses), le cinéaste ne laisse pas beaucoup de place aux spectateurs, il nous tend en miroir le public du théâtre de Bronson, masse bien à sa place qui rit et applaudit lorsque le pitre n'en attend pas moins d'eux. Peut-être Refn essaye-t-il ici de nous dire quelque chose sur la condition du spectateur mais tout cela est bien flou. Sans doute ce film est-il assez représentatif, et se repaît-il (car que peut-on en faire d'autre ?), d'une forme de violence postmoderne "imperméable à toute réflexivité", pour reprendre les propos de S. Zizek (2). Vont dans ce sens le fait que Bronson tout au long du film raconte sa vie de manière auto-satisfaite, que même l'introspection par l'art ne le sauve, et qu'à la fin il revienne à la case (cage ?) départ. Vacuité extrême du programme consistant à provoquer l'anarchie là précisément où celle-ci est le plus facilement et automatiquement durement réprimée. Nous assistons à une sorte de jeu absurde du chat et de la souris se déroulant entre quatre hauts murs lisses dans une pièce vide et dans lequel la souris provocatrice faisant un bras d'honneur au chat sort forcément perdante à tous coups car les acteurs de ce jeu ne sont pas personnages de cartoons.
La performance de Tom Hardy, souvent saluée ailleurs, se réduit pourtant à un cabotinage surlignant grossièrement le côté "pitre de la prison" du personnage. Le jeu de l'acteur ajoute une couche épaisse à la complaisance d'un projet moins tourné vers que braqué sur le Bronson fantasmé par Refn. On peut revenir plus en détails sur sa prestation en remarquant quelques similitudes avec l'emphase bouffonne du Joker dans le premier Batman. Le maquillage qu'arbore à certains moments Hardy sur scène renforce cette impression. A un visage sans expression, hautement sérieux, qui se veut mimant l'ennemi, s'oppose généralement quelques instants après un rictus forcé. Chaque sourire narquois est ainsi une petite victoire sur le masque, lui résolument impassible, de ses bourreaux. Mais ce sourire est purement mécanique, totalement dépourvu d'affect. Il ne semble pas répondre d'une intention de déstabiliser l'adversaire en lui montrant un visage inattendu, exprimant quelque chose de plus haut que cette dureté de traits uniforme des visages des gardiens de prison, mais plutôt d'une intention de le narguer encore une fois (une dernière fois, lors de la scène où il est remis en liberté).
Henry-David Thoreau, dans son texte fondateur intitulé La désobéissance civile, exprimait sa profonde satisfaction d'avoir été enfermé dans une cellule de prison suite à son refus de payer des impôts à l'Etat de son pays. La prison était le lieu le plus naturellement sûr pour vivre en toute liberté parmi les hommes dans les Etats-Unis où il vivait. Tel était, du moins, son point de vue, et il lui semblait qu'il n'était pourtant partagé par nul autre de ses voisins à l'extérieur ou de ses gardiens à l'intérieur qui, comme il le disait : "dans chacune de leurs menaces, dans chacun de leurs compliments, commettaient une bévue, car ils s'imaginaient que mon plus cher désir était de me trouver de l'autre côté de ce mur de pierre. Je ne pouvais que sourire de leur zèle à enfermer à clef mes méditations, qui les suivaient dehors sans obstacles ; or ce n'était vraiment que d'elles que venait le danger." Ce sourire-là de Thoreau semble plus rayonnant de promesse que le rictus de Bronson jouant les revirements brutaux d'émotions avec les spectateurs.
Dans Hunger (2008) de Steve Mc Queen, on pouvait constater (voire regretter) l'absence de recul du cinéaste vis-à-vis de son sujet, livrant dans un certain sens un film plutôt "classique" dans lequel un réalisme brut primait absolument, entraînant le cinéaste à faire des choix qui furent par certains jugés douteux. Mais le combat individuel et collectif, politique (et Mc Queen avait su en prendre toute la mesure) qui se déroulait derrière les murs de la prison avait une toute autre résonance que les délires égocentriques du personnage principal de Bronson. Dans ce dernier film, on ne peut nier qu'une certaine forme de distanciation est de la partie mais au profit de rien, d'aucune idée, d'aucune prise de conscience. Dans un sens, le comportement de Bronson sur les planches pourrait rappeler les clowneries narcissiques de HPG dans On ne devrait pas exister (2006). HPG, comme le Bronson de Refn, reste dans sa cage en ne jouant pas, en ne bougeant pas de sa position. Chez les deux on retrouve cette aliénation poussant à ne pas changer (même si ils essayent, l'art pour Bronson, le jeu traditionnel pour HPG), à rester rivé sur ses positions comme si tout choix était résolument impossible, ruiné par l'impulsion la plus forte. Les deux films sont des boucles, on termine là où ça a commencé. Le comportement auto-centré est tellement prégnant qu'il ne leur offrirait pas d'alternative, mettre cela en avant (dans son film pour HPG, dans son show pour Bronson) est un peu curieux mais en même temps un nouvel aveu de ce que le narcissisme passe avant tout chez eux. Personnages n'ayant pas d'autre chose à offrir aux spectateurs que leur narcissisme exacerbé, plaidant leur cause avec leur poing ou leur queue brandie en avant. Refn répondrait probablement que c'est ça aussi être artiste, que pour un cinéaste, une caméra vaut bien un chibre, un poing ou une seringue..
L'exercice qui consiste à casser le maximum de gueules de matons se révèle comme prévu complètement vain, aussi vain que les frasques sexuelles de la fille Hilton qui visent à faire parler d'elle dans les tabloïds. On apprend à la fin du film que Bronson est toujours en prison. La célébrité a un prix, pourtant N. W. Refn n'en démord pas, il rêve lui aussi de la gloire. A défaut de faire la couverture des magazines de cinéma avec son nouveau film, nous lui devions bien ces quelques mots comme modeste contribution à sa si possible future renommée…
(1) On pourra lire l'entretien en ligne avec le cinéaste à cette adresse.
(2) Le spectres rôde toujours, S. Zizek, pp.16-18. On pourra lire un court extrait de ce passage en note dans le numéro 2 des Spectres du cinéma (pp. 56-57) dans un article consacré au philosophe slovène.
Jean-Maurice Rocher (avec l'aide d'une partie de la rédaction)
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