samedi 26 septembre 2009

Critiques, vos papiers : Singularités d'une jeune fille blonde (M. de Oliveira)

Le dernier Oliveira ? Oui, j'y suis allé. Pensez-vous, j'avais raté tous les précédents et on m'avait assez répété que le maître était né en même temps que le cinéma pour ne pas rater celui-ci sans éprouver un insurmontable sentiment de culpabilité. Alors sans trop savoir à quoi m'attendre j'y suis allé comme si c'était un devoir pour moi, comme on rend visite à un vieil oncle qu'on sait très respecté dans la famille mais qu'on a encore jamais eu l'occasion de saluer. Sans doute la raison de ma visite était-elle mauvaise et sans doute ne devrait-on jamais rien faire sans être poussé par une curiosité naturelle, un désir profond et personnel d'aller voir par soi-même.

Alors, voilà, la réponse est partie, très claire, à la sortie : je n'ai pas aimé « le dernier Oliveira ». Plus tard, j'avais seulement envie de m'en moquer gentiment avec les mots cruels qui me venaient à l'esprit : coquetteries, mignardise... Dès le début, la manière d'introduire le récit m'a déplu. Le héros, Macario, entame le récit des infortunes de sa vertu, dans un langage châtié, presque précieux. Il parle à sa voisine dans un train, filant à toute vitesse. Cet espace public, moderne et plutôt froid entrait pour moi en dissonance avec le reste du film, dont les décors alternativement luxueux et dépouillés évoquent une histoire très théâtrale, hors du temps (la présence de l‘écran plat sur le bureau du comptable paraît ainsi presque incongrue). J’aurais donc plutôt imaginé notre héros s’épanchant auprès d’un ami ou d’un proche dans une chambre, un salon intime, un cocon ouaté propice aux confessions.

Mais il est vrai également qu’Oliveira précise au tout début, en voix off, que « ce que tu ne peux raconter à ta femme ou à ton ami, parles-en à un étranger » (de mémoire). Le problème posé par cette introduction ne résiderait donc pas dans la cohérence esthétique avec l’ensemble mais serait plutôt d‘ordre purement narratif, psychologique : pourquoi le héros ne peut-il pas raconter son histoire à un proche ? L’humiliation subie est-elle telle que le jeune homme n’ait plus qu’à fuir et refaire sa vie loin du regard des gens qu’il a pu côtoyer jusqu’à présent ? Si c’est le cas, alors le jeu plat et inexpressif du petit-fils d’Oliveira n’en laisse absolument rien paraître. De plus, en toute logique, les décisions du personnage sont si radicales que nous serions en droit d’attendre quelque effroyable dénouement. Or, c’est d’une souris que le film finit par accoucher...

J'ai donc tiqué sur une telle amorce, mais bon, la valse des flashbacks s'est tout de même mise en branle... Et Oliveira d'orchestrer cette histoire de rencontre amoureuse déçue avec une économie dramaturgique qui vire au rachitisme, un sens de l'ellipse qu'on peut aussi bien appeler concision mais qui étouffe et tue dans l'œuf tout l'intérêt et l'empathie que j'aurais pu éprouver pour son jeune homme. Impossible pour moi de saisir ce qui se joue dans les rêves de mariage du jeune couple si je n'ai pas vu avant comment se manifeste leur amour, leur complicité, ce qui rend nécessaire à l'un la présence de l'autre. Sans cet effort préalable, le petit pied dressé par le plaisir demeure à l'état de cliché, de vignette certes suggestive mais aussi purement illustrative. Pendant tout le film, nous n'avons affaire qu'à deux jeunes et fringants chiens de faïence.
Je n'ai jamais pu percevoir la sève des personnages, ce qui se cache vraiment derrière ces artifices, derrière cet éventail et ces cadres picturaux si élégants. Ce n'est pas tant les « singularités » (d'ailleurs, je n'en vois qu'une) de la blonde que j'aurais voulu saisir mais plutôt son caractère, son histoire, les expressions de visage qui trahissent ses pensées... Toutes sortes de détails qui font d'un personnage autre chose qu'un archétype et qu'Oliveira a ostensiblement lissés pour qu'il ne reste qu'une image, un trompe-l’œil qu'il s'agira in fine de percer d'un coup de scalpel certes malicieux et teinté d’une certaine ironie mais qui détruit tout le reste, qui réduit tout le film à un décor de théâtre sans vie.



Et puis, cette simplicité quasi enfantine des enjeux, ces cadres millimétrés, cette symétrie de l'espace du film... Tout était si bien agencé pour que les rouages de l'illusion nous fassent tomber sur le terrible dernier plan du film... Sauf que j'ai peine à être pris par une montre suisse aussi parfaitement décorée et huilée. Je l'ai su très vite, que ça ne me plairait pas, et pourtant, comme souvent, je suis resté, par respect pour les « intentions de l'auteur » et aussi parce que parfois, un mauvais film (ou du moins un film qu'on sait ne pas aimer) peut être sauvé par un plan, un détail. Et là, alors que j'aurais pu aimer ce fameux dernier plan qui fait planer une ombre angoissante sur tout ce qui a précédé, et bien, je ne l'ai tout simplement pas vu. Je l'ai escamoté au point de ne pas le reconnaître en découvrant un photogramme dans la presse, ce qui ne manqua pas de me surprendre. Je ne me souvenais pas avoir dormi et c'était sans doute la première fois qu'une telle amnésie « sélective » me frappait. Il n'y avait qu'une explication à trouver : j'étais déjà trop sorti du film pour pouvoir en considérer la fin. Dès lors, j'essayai de recoller ce plan manquant au reste de la bobine dans ma tête, comme un restaurateur méticuleux ; en vain.

Mais alors, si j'avais vu le film « complet » dès la première vision, est-ce que mon regard aurait été différent ? Rien n'est moins sûr, car en y repensant je trouve bien limitée cette revisitation dramatique d'une forme littéraire datée, le conte moral ou l'apologue ; tentative qui tendrait à démontrer une nouvelle fois, si besoin en était, que les apparences sont trompeuses et que l'amour rend aveugle. À mon sens, l'exercice aurait été profitable, si le film au lieu d’être austère, avait été drôle, truculent, plein d’emphase à la manière des contes de Voltaire. Car Macario correspond précisément à l’archétype du Candide, celui qui, poussé par la nécessité de survivre va réaliser une expérience du monde en partant du principe que les intentions de ses amis sont sincères. Aussi sera-t-il promptement trompé et désillusionné. En effet, chez Voltaire, comme chez Sade du reste, le plaisir qu’on prend à suivre les péripéties du héros vient toujours du décalage entre la simplicité béate dont il fait montre et le déluge de catastrophe, de violence et de méchanceté qui s’abat inéluctablement sur lui. Ce qui pourrait être pompeusement tragique (1) n’est, à force d’exagération et d’antiphrase que puissamment ironique et c’est aussi ce qui fait passer la pilule de l‘amère morale.
Or, si on sent que le cinéaste aspire à cette ironie-là, force est de constater que le style minimaliste et ciselé, va à rebours de l’outrance prônée par les maîtres du conte moral cités plus haut. Le voile des illusions de Macario n’est levé qu’à la lueur d’une bague dorée quand il aurait dû l’être par le fracas de, mettons, 10 000 huissiers qu’on verrait bien envahir sa maison pour s’emparer de tout ce qu’il a laborieusement acquis. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que les références citées à propos de l’auteur de la nouvelle dont est tiré le film aillent plutôt chercher du côté de Balzac et du réalisme français du XIXe siècle. Elles tirent très certainement le film vers la mauvaise direction.

Voilà, la forme, l’esthétique et la structure du film, ne correspondent absolument pas pour moi au genre littéraire auquel le récit semble se rattacher. Au final, si je suis le seul à ne pas avoir aimé le dernier Oliveira, au moins aurais-je tenté d’expliquer pourquoi.

Raphaël Clairefond

(1) C’est cette lourdeur du Two Lovers de Gray, si on parle d’hommes qui courent désespérément après des femmes, qui m’avait poussé à rejeter le film.

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